Le système d'éducation au Brésil

Publié le par Alexis

Dans cet article, je vais vous parler de quelques aspects du fonctionnement du système d'éducation au Brésil, en montrant que c'est un moteur implacable de reproduction sociale. Ici ceux qui naissent pauvres le restent, et c'est la même chose pour les riches. Je vais vous décrire le système à Belo Horizonte, sachant que le système est identique dans tout le Brésil, et à peu près le même dans toute l'Amérique latine avec quelques variantes.

Comme en France, le système scolaire est divisé en trois grande périodes. Il y a l'enseignement primaire ou fondamental (correspondant à notre école primaire et notre collège), qui représente huit années d'études obligatoires entre 7 et 14 ans. Puis l'enseignement secondaire (notre lycée) divisé en trois années d'étude. Et enfin l'enseignement supérieur, dispensé par les universités publiques fédérales ou par des universités privées, qui dure de 4 à 5 ans pour obtenir un diplôme équivalent au Master ou au Graduate américain, auxquels certains ajoutent trois ans en moyenne pour obtenir un doctorat.

Il y a assez classiquement deux systèmes parallèles, ou plutôt concurrents, qui dispensent l'enseignement au Brésil : le public et le privé.

Aux niveaux primaire et secondaire, l'enseignement public est mauvais dans la plupart des cas, désastreux souvent. Il est financé à la fois par les communes, les états (l'état du Minas Gerais à Belo Horizonte) et l'état fédéral (Lula). Ce partage des responsabilités financières est extêmement inefficace, les trois entités publiques se renvoyant la patate chaude du financement de l'enseignement public et la responsabilité de sa dégradation . Un fait révélateur parmi d'autres : un professeur dans le primaire gagne environ 1000 Reais (2,5 salaires minimums), soit 400 Euros, ce qui est tout juste pour se payer le loyer d'un appartement dans un quartier de banlieue lointaine, le transport et sa nourriture de base. Les profs dans le public doivent donc faire des petits boulots pour s'en sortir ou partent dans le privé s'ils sont bons et qu'ils ont abandonné l'idée de changer le monde. Le système d'éducation publique s'est considérablement dégradé pendant ces dix dernières années. Tous mes amis qui ont une cinquantaine d'années ont étudié dans le public. Aujourd'hui tous les gens qui ont suffisament d'argent envoient leurs enfants dans le privé. Elias, a contrario, qui a 50 ans et des idéaux humanistes bien solides, a mis sa fille dans un lycée public il y a quelques années par conviction sociale. Au bout de trois mois de grève des profs qui réclamaient (à juste titre évidemment) une augmentation de salaire, il a dû l'envoyer à contre-coeur dans le privé...

Toujours aux niveaux primaire et secondaire, la qualité de l'enseignement privé est à peu près proportionnel à la somme qu'il faut débourser pour y mettre ses enfants, et dans tous les cas bien meilleure que l'enseignement public. Il faut dépenser, pour envoyer son enfant dans le privé, entre 700 et 2000 Reais par mois (environ 300 à 800 euros par mois, soit 2 à 5 salaires minimaux), ce qui est bien sûr une somme exhorbitante pour le Brésil, et qui le serait même en France où les lycées privés sont beaucoup moins chers car subventionnés en partie par l'état (grâce à la controversée loi Falloux). Au Brésil dans les collèges et lycées les plus chers, les professeurs sont très bien payés et excellents, et une partie de l'enseignement est dispensé en anglais, espagnol, italien, français... Les jeunes Brésiliens nés dans le coton et la soie y acquièrent toutes les armes pour devenir des citoyens à l'aise dans le monde entier, ou plutôt des professionnels efficaces dans n'importe quelles multinationales...

Au niveau de l'enseignement supérieur, la logique s'inverse, ce sont les universités publiques fédérales qui sont de loin les meilleures universités. Pour y entrer, il faut réussir un concours difficile à la fin du lycée, bien au dessus du niveau que les élèves acquièrent dans les lycées publics. Je connais une vingtaine de personnes ici qui ont réussi le concours et étudient à l'université fédérale du Minas Gerais, l'UFMG, la meilleure et la plus grande faculté du Minas Gerais. Or pas un seul d'entre eux n'a étudié dans un lycée public. Eux-mêmes ne connaissent quasiment personne qui a réussi le concours de l'UFMG en ayant étudié dans un lycée public. Une fois j'ai allumé la télé par hasard, et je suis tombé sur une émission qui racontait le destin exceptionnel d'un gamin des favelas qui avait réussi le concours de l'UFMG. Il doit y en avoir une dizaine par an pour plusieurs dizaines de milliers d'élèves à l'UFMG...

En parallèle de l'enseignement supérieur public, ces dernières années sont apparues plusieurs dizaines d'universités privées dans le Minas Gerais. Il s'agit en fait d'un business comme un autre. Vous embauchez des profs comme vous embaucheriez des employés, vous achetez des locaux neufs de préférence, vous vous débrouillez pour monter avec vos employés des programmes suffisament complets pour obtenir l'autorisation de délivrer des diplômes de la part du ministère de l'éducation, et dans votre business model vous réservez une bonne partie de votre budget pour le marketing et ainsi envahir les bords d'autoroutes, les panneaux d'affichage en ville avec des publicités affirmant que vous formez des battants qui gagneront beaucoup d'argent. Comme les places à l'UFMG sont limitées et que la plupart des Brésiliens sont convaincus de l'importance de l'éducation pour leurs enfants, vous verrez affluer les clients rapidement.

 

Résumons. Vous avez 35-40 ans, vous avez des enfants en bas âge et vous désirez le meilleur avenir possible pour eux.

Premier cas, vous êtes pauvres, vous faites partie des 40% de Brésiliens "à faibles revenus" suivant la terminologie politiquement correcte qui gagnent moins de 1000 Reais par mois (400 euros). Vous n'avez pas le choix, vos enfants iront à l'ecole primaire publique. Ils y apprendront à lire et à compter, guère plus. Si vous êtes de bons parents, et que vous avez assez d'argent pour nourrir vos enfants après 14 ans, vous les enverrez au lycée. Ils y gagneront quelques notions supplémentaires en mathématiques, histoire, géographie, littérature brésilienne. Mais vous savez bien qu'ils n'auront jamais le niveau pour entrer à l'UFMG et vous n'avez pas d'argent pour leur payer une fac privée. Ils termineront donc leurs études au lycée, sans aucun diplôme qui leur permettrait d'obtenir un poste qualifié dans une entreprise. Inconsciemment votre résignation vis-à-vis d'un système scolaire qui ne fonctionne pas comme un ascenseur social déteint sur eux, vos enfants ne sont pas motivés pour étudier car ils savent que les études ne les mèneront à rien. Ils manifestent dès l'adolescence leur envie de rentrer dans le monde du travail rapidement et vous ne les freinez pas dans leurs ardeurs car ce sera une bouche en moins à nourrir. A 18 ans, ils travaillent donc tous, gagnent un salaire minimum ou deux (400 à 800 Reais), gagneront peut-être 1000 Reais dans dix ou vingt ans si ce sont des travailleurs méritants, et auront au final la même vie de lutte quotidienne que vous avez eue.

Deuxième cas, vous faites partie des 40% de Brésiliens de la "classe moyenne", ceux qui gagnent entre 1000 et 4000 Reais par mois et par foyer. Suivant vos revenus et votre volonté de voir vos enfants s'élever dans l'échelle des catégories sociales, vous avez le choix. Soit vous envoyez vos enfants à l'école publique et vous vous serrez la ceinture ensuite pour leur payer une faculté privée car ils n'auront pas réussi le concours de l'UFMG, soit vous vous saignez dès le début de la scolarité de vos enfants pour leur payer une école privée de l'école primaire au lycée, et vous priez pour qu'ils réussissent à la fin du lycée le concours d'entrée à l'UFMG. S'ils réussissent, c'est la récompense de tous vos efforts, ils continueront leurs études gratuitement et auront un diplôme reconnu et l'espoir d'avoir un bon métier. S'ils ne sont pas aussi doués que vous le rêviez, il faudra continuer à mettre la main au portefeuille pour leur payer une université privée, et alors pendant vingt ans, vous aurez consacré un tiers de votre budget à l'éducation de vos enfants, alors que le Brésil est un des pays où l'imposition sur les revenus et le travail est la plus élevée. Cherchez l'erreur...

Troisième cas, vous êtes aisés voire riches. Banco ! Le système scolaire brésilien semble avoir été conçu pour vous ! Entre 7 et 18 ans, vous allez payer pour l'éducation de vos enfants une somme d'argent assez importante, entre 1000 et 2000 Reais, mais raisonnable au regard de vos revenus qui atteignent souvent plus de 20.000 Reais par mois. En échange, le fait de payer cette somme donne deux avantages inestimables. Le premier est que les professeurs sont bons, motivés par leur salaires élevés, et de toute façon en cas de dérapage de leur part, vous avez une certaine influence sur eux puisque c'est vous qui les payez, vous avez droit au chapitre puisque vous êtes un fidèle client. Deuxième avantage de taille : vos enfants n'étudient qu'avec d'autres enfants de bonnes familles qui peuvent, comme vous, payer l'école privée. Ils n'y auront pas de mauvaises fréquentations, ils se feront des amis dans la même classe sociale que vous.

Ensuite, vu que l'enseignement dispensé dans l'école privée est de bonne qualité, voire d'excellent qualité pour les plus chères, votre enfant a toutes ses chances de réussir le concours d'entrée à l'UFMG. Dans ce cas, il pourra y faire ses études supérieures, de bon niveau, toujours avec des élèves d'origine sociale favorisée puisqu'ayant fréquenté des écoles privées de bon niveau, et cerise sur le gâteau, gratuitement ! Vous pourrez donc dépenser votre argent pour l'envoyer un an étudier à l'étranger et ainsi s'ouvrir sur le monde, c'est-à-dire dans 90% des cas sur le pays modèle du Brésil, les Etats-Unis, où ils apprendront la culture et l'unique langue qu'il faut maîtriser pour survivre dans notre monde en voie d'uniformisation.

 

En 1964, Bourdieu écrivait Les Héritiers où il mettait en évidence au sein du système scolaire français les mécanismes de reproduction sociale. Au Brésil, il n'est pas nécessaire d'être sociologue pour décrypter ces mécanismes, ils sautent aux yeux ! Le système scolaire brésilien entretient le cloisonnement entre les différentes catégories sociales, pérennise les équilibres qui sembleraient partout ailleurs instables mais qui sous-tiennent ici une société parmi les plus inégalitaires du monde. Les classes dominantes ont mis en place un système qui assure la transmission de leur statut social à leurs enfants et qui oppose suffisamment de barrières aux classes défavorisées afin qu'elles n'aient même pas l'espoir de voir leur progéniture gagner une position plus confortable dans la société brésilienne. Au final, tout le monde reste dans sa classe sociale, les riches sont satisfaits, les pauvres résignés à leur destin et donc satisfaits aussi, je crois bien que j'ai trouvé Le Meilleur des Mondes !

Non, plus sérieusement, la question s'impose d'elle-même puisque l'Homme est censé être libre depuis Sartre : pourquoi le peuple brésilien est-il aussi résigné, pourquoi ne descend-il pas manifester sa colère dans la rue ? La réponse est à chercher je crois dans les quelques secrets qui rendent possible le bonheur simple des Brésiliens, leur joie de vivre et leurs grands sourires malgré leur lutte quotidienne : leur chaleur dans les relations humaines, leur solidarité d'autant plus grande qu'ils sont pauvres, le fait que personne ne meurt de faim ici car il y a du riz et des haricots en quantité, le soleil toute l'année, la plage, la samba et la fête... Il faut dire aussi qu'ils ont à leur disposition quelques variétés locales d'opium, particulièrement efficaces et bon marché : le football, le culte du corps de la femme, la bière et la cachaça, et le plus important de tous, l'arme fatale contre toute prise de conscience douloureuse de son statut social ou même de sa vie médiocre, contre toute velléité au changement voire à la rébellion, j'ai nommé la télévision évidemment avec ses captivants feuilletons et reality shows...

Publié dans vidanobrasil

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R
<br /> Bonjour<br /> C'est juste pour une correction concernent au l'enseignent supérieur au Brésil, mais sinon votre texte de façon globale  correspond bien à la réalité.<br /> L'enseignent supérieur au Brésil dure 4 à 5 ans  pour obtenir un diplôme d’études supérieures<br /> spécialisées que ressemble au DESS en France. Auxquels certains ajoutent 2 ans pour un master scientifique (ou profissionell disponible en quelques<br /> domaines) et plus 4 pour obtenir un doctorat. Je suis brésilienne et j'ai suivi ce parcours.<br /> Depuis de 2001 je suis chercheuse et professeur de l'enseignement supérieur au Brésil et ce parcours est toujours d'actualité.<br /> <br /> <br /> Félicitation et bon courage<br /> <br /> <br /> G.T. da Costa<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br />
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F
<br /> quel magnifique article !<br /> <br /> <br />
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N
Bonjour,je suis étudiante en master - relations interculturelles et coopération internationale. J'ai lu un livre sur les enfants des rues au Brésil qui traitait notamment du cas de déscolarisation de ces enfants. Le thème du système éducatif brésilien et de ses failles m'ayant bien plu, j'ai décidé d'en faire le sujet de mon dossier de géopolitique. C'est ainsi que je suis tombée par hasard sur votre blog. Je voulais juste vous dire que votre article était très bien tourné et qu'il reflétait tout à fait ce que j'avais trouvé et pensé au fil de mes recherches et de mes lectures.Bien à vous,lilouvera
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