We à Rio (2ème)

Publié le par Alexis

Samedi matin, 10 heures. Un oeil s'ouvre à moitié. L'oreille qui n'est pas complètement enfouie dans l'oreiller perçoit une lointaine complainte, c'est le triste cliquetis de la pluie sur le balcon. Le deuxième oeil ne s'ouvre pas, le premier se referme et tous les sens replongent aussi sec dans le doux confort du coton des rêves.

Samedi, 12h00. Deuxième tentative de l'oeil téméraire, il affronte la lueur du jour derrière le filtre des cils encore à moitié fermés, la même oreille que tout à l'heure guette sans succès le bruit monotone de la pluie, se dégage complètement de l'univers feutré de l'oreiller, et ne perçoit toujours aucun bruit. D'un côté c'est bien, mais d'un autre côté c'est le signal qu'il va falloir s'arracher de la délicieuse tiédeur du lit.

Dehors le vent s'est levé, peut-être que le rocher a séché? Nous ne nous pressons qu'à moitié, car je sais que la nuit le Pain de Sucre est éclairé par des grands projecteurs et qu'on peut donc se faire surprendre sans crainte par l'obscurité pendant son escalade. Nous nous faisons un brunch pantagruélique et nous quittons l'appartement pour une grande journée d'escalade à 14h00 du matin.

Nous marchons une petite demi-heure dans la forêt tropicale, nous passons sous les projecteurs plantés au milieu du fouillis inextricable de la végétation et nous arrivons au pied de la voie. C'est une grande dalle presque verticale de 100 mètres de haut, ensuite ce sont 250 mètres moins raides en suivant des dalles ou des fissures qui mènent au sommet. Aurélie et Christopher me suivent l'un en dessous de l'autre, Aurélie coache Christopher qui n'est pas très à l'aise dans ces grandes dalles assez techniques...

 

 

Derrière nous c'est toute la baie de Rio qui se dévoile petit à petit. La grande canine noire du Corcovado s'élève au dessus de raides collines recouvertes de forêt, elle est entourée de quelques autres dents tout aussi pointues mais un peu moins hautes qui semblent n'avoir été posées là que pour mettre en valeur le grandiose piédetal du Christ Redempteur. Des cordons de béton rampent tout en bas à leurs pieds, le repaire des humains paraît bien moche et indigne de cette nature merveilleuse. De loin, les constructions ressemblent à des briques de Lego semés au hasard par un dieu géant peu scrupuleux. Des grosses briques blanches s'entassent en bord de plage, ce sont les habitations des riches, et des petites briques rouges sont parsemées en petits groupes bien serrées dans les collines, ce sont les favelas qui grignotent la forêt.

 

Bientôt, la nuit arrive, elle efface les verrues humaines sur les flancs des montagnes qui nous font face, le soleil se couche et le spectacle qu'il nous offre en guise d'au revoir efface tout le reste.

 

Pendant un quart d'heure nous grimpons de nuit, nous ne voyons plus où nous posons les pieds, même les pas d'escalade les plus simples deviennent périlleux. Puis en une fraction de seconde, un autre soleil apparaît, de la même couleur, à 400 mètres de nous en contrebas. C'est le projecteur. Le rocher est devenu orange, nous faisons les deux dernières longueur éclairés par cette lumière étrange. Il faut sans cesse travailler l'angle entre le corps et le rocher, car à l'ombre de cette lumière l'obscurité est totale. Nous sortons la dernière longueur par une variante plus difficile en dalle, le dernier pas est d'anthologie : un rétablissement sur le dos lisse comme un miroir d'un éléphant cabré, le dernier point d'assurage est 5 mètres en dessous, il faut suspendre sa respiration quelques secondes car mêmes les simples ondulations des poumons pourraient rompre le fragile équilibre qui fait monter le corps vers le haut. Et l'instant d'après c'est l'arrivée brutale au milieu des touristes, le sommet du Pain de Sucre, l'arrivée du télephérique...

Derrière nous la ville s'est illuminée, elle pare les montagnes environnantes de guirlandes multicolores, les nuages de points lumineux gomment les imperfections des constructions, la laideur des bâtiments, le contour des collines s'efface presque, seule la statue illuminée du Christ Rédempteur nous indique encore qu'il existe en face de nous une montagne tellement grande que la statue paraît suspendue parmi les étoiles au-dessus de la mer .

De loin en loin, porté par le hasard des rafales de vent, des notes de musique nous parviennent. Sur la lumineuse plage de Copacabana qui paraît toute proche, il y a un concert en plein air. Daniela Mercury est descendue de sa ville Salvador pour mettre le feu à la foule carioca. Les grandes parois de granit se renvoient les basses à l'infini, toute la ville vibre au son du concert par la magie de l'écho qui se propage et se déforme. Bientôt c'est toute la chaîne de montagnes dominant la ville qui semble se trémousser, comme si un relief autant tourmenté ne pouvait pas rester immobile indéfiniment et n'avait attendu que cette occasion pour enfin danser la gigue et la samba.

 

 

 

Dimanche. Autre réveil à midi après une soirée à Lapa à danser la samba. Le temps n'est pas mauvais le matin, se gâte l'après-midi mais nous décidons tout de même d'aller grimper le Corcovado par une voie qui a été élu "plus belle voie d'escalade urbaine du monde" !

Nous grimpons dans le brouillard, une petite pluie fine commence à tomber. Ambiance. Nous pourrions être sur une falaise à mille lieux de tout endroit civilisé. Mais en dessous de nous, quelque part dans une favela, retentissent deux coups de feu... Le bruit est sec, bien différent de celui d'un pétard. Ambiance.

Nous arrivons au sommet en fin d'après-midi, la tête du Christ se perd dans les nuages, il y a quelques touristes qui prennent des photos de paysage au flash en espérant peut-être éclairer un peu la purée de pois qui nous entoure.

 

 

Lundi. Journée difficile, où il faut tout boucler au boulot avant de faire les valises. Nous avons chacun présenté nos résultats intermédiaires pour le projet Vida no Vale, la réunion s'est éternisée jusqu'à 18h00. Les Brésiliens adorent se réunir, parler des heures en savourant le plaisir de s'écouter parler, de rigoler ensemble. En général j'apprécie mais aujourd'hui il me restait trop de choses à régler pour pouvoir prendre ça du bon côté.

Avec Yan on a bossé pour Rokaz jusqu'à minuit et demie. Le matériel que je vais ramener de France, le business model, la programmation du chantier qui va commencer, le boulot ne manque pas.

Et maintenant il est plus de deux heures du mat' et je n'ai toujours pas commencé à faire ma valise. Je me lève à 6h30 demain matin pour prendre mon avion pour la France. Pas très raisonnable tout ça, mais ce n'est pas au Brésil que je vais apprendre à l'être...

Bises et à dans deux semaines.

 

Publié dans vidanobrasil

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